La lutte contre la pauvreté et la faim commence par l’agriculture
Nous nous sommes entretenus avec World Bicycle Relief, One Acre Fund et myAgro, trois de nos partenaires qui travaillent en Zambie, au Rwanda et au Sénégal, et fournissent aux familles d’agriculteurs des connaissances, des outils et un soutien leur permettant de gagner leur vie de manière durable et de contribuer à nourrir adéquatement leurs communautés.
© Cartier Philanthropy / Cyril Le Tourneur
Selon la Banque mondiale, l’on compte quelque 500 millions de familles de petits fermiers dans le monde, ce qui représente plus de deux milliards de personnes. Il s’agit principalement d’agriculteurs qui cultivent moins de 5 acres. Ils représentent une part importante des personnes touchées par la pauvreté dans le monde (celles qui vivent avec moins de 2 $ par jour). Les petits fermiers produisent environ 35 % de la nourriture mondiale. Dans la lutte contre la pauvreté, il est donc impératif d’offrir à ce large groupe des modes de subsistance durable.
En Afrique subsaharienne, plus de 50 millions de familles gagnent leur vie grâce à de petites exploitations qui produisent 80 % de la nourriture du continent. Nous nous sommes entretenus avec World Bicycle Relief, One Acre Fund et myAgro, trois de nos partenaires qui travaillent en Zambie, au Rwanda et au Sénégal, et fournissent aux familles d’agriculteurs des connaissances, des outils et un soutien leur permettant de gagner leur vie de manière durable et de contribuer à nourrir adéquatement leurs communautés.
WORLD BICYCLE RELIEF : DÉPLOYER L’ACCÈS DES AGRICULTEURS AUX MARCHÉS EN ZAMBIE
L’aube pointe et il fait frais à Palabana, en Zambie. Des douzaines de producteurs laitiers arrivent à la coopérative laitière du village pour livrer de gros bidons de lait frais, solidement attachés à l’arrière de leur vélo Buffalo fourni par World Bicycle Relief.
Cette organisation collabore depuis 2008 avec les communautés de la région de Palabana, en leur mettant à disposition des vélos par le programme d’achat des employés de la coopérative — un modèle à faible risque permettant aux agriculteurs d’acquérir un vélo pour augmenter leur productivité et leur qualité de vie sans aucun capital initial.
Depuis que les agriculteurs ont accès à leur deux roues, les livraisons ont augmenté de 25 %, les revenus de 23 % et le temps de trajet jusqu’à la coopérative a diminué de 45 %. Grâce à leur vélo, 95 % des agriculteurs soutenus par World Bicycle Relief ont pu améliorer la qualité de vie de leur famille et celle de leur communauté, vu qu’ils partagent le vélo avec d’autres pour favoriser l’accès à l’éducation, aux soins de santé ainsi que leurs rapports interpersonnels.
Le directeur du programme en Zambie, Brian Moonga, a détaillé le contexte dans lequel ils opèrent : « De nombreuses familles en Zambie n’ont peu, voire pas les moyens d’utiliser des transports fiables. Nous offrons alors des options de financement durables qui permettent un payement graduel, améliorant ainsi l’accès à des bicyclettes robustes, capables de transporter de lourdes charges sur des terrains accidentés. »
Le transport et la mobilité en milieu rural sont souvent négligés dans les programmes de développement qui visent à améliorer les modes de subsistance des agriculteurs. Les semences de haute qualité, les engrais modernes, et les pratiques agricoles qui augmentent les rendements et les revenus sont tout simplement hors de portée de la majorité des petits fermiers de Zambie et d’Afrique. Ces agriculteurs habitent souvent loin des routes praticables et peuvent ne jamais recevoir la visite d’un agent agricole. Susan Bornstein, directrice des partenariats institutionnels chez World Bicycle Relief, a souligné : « La corrélation entre l’accès au transport, la pauvreté et la production agricole est évidente : plus les agriculteurs vivent loin des marchés, plus il leur est difficile de générer des revenus et moins ils sont incités à investir dans leurs exploitations ; ce cycle les éloigne d’une sécurité financière et alimentaire. »
Susan a ajouté qu’il existe désormais en Zambie des partenariats entre le gouvernement, les communautés et les ONG comme World Bicycle Relief, afin que tous coopèrent pour améliorer l’accès des populations rurales aux services et aux opportunités.
Susan et son équipe sont optimistes quant à l’avenir : « Près d’un milliard de personnes en milieu rural risquent d’être laissées-pour-compte, car elles vivent dans des communautés où l’éducation, les soins de santé, les emplois, les marchés et d’autres services essentiels sont tout simplement hors de portée. Notre vision à long terme est d’inspirer les bailleurs et d’autres organisations afin qu’on arrive à mettre à disposition du plus grand nombre des deux roues, répondant ainsi à un besoin urgent qui pourrait profiter à tous, en particulier aux femmes et aux filles. »

© World Bicycle Relief
ONE ACRE FUND: UN ENSEMBLE DE SERVICES POUR SOUTENIR LES AGRICULTEURS RWANDAIS
La dégradation des sols est une menace pour la survie financière des petits fermiers rwandais ; le pays affiche l’un des taux d’érosion les plus élevés au monde en raison de ses collines ondulées, des fortes précipitations et de sa population rurale dense. De nombreux agriculteurs n’ont pas d’autre choix que de cultiver des sols appauvris et acides en raison d’une exploitation excessive et d’une pauvre gestion de leur fertilité.
Les opérations de One Acre Fund au Rwanda, historiquement le deuxième pays ou One Acre Fund s’est installé, soutiennent ces agriculteurs avec un ensemble intégré de services comme des prêts, des semences, des formations et un meilleur accès aux marchés. Cette aide permet aux agriculteurs d’augmenter leur rendement en deux saisons, en créant une base solide pour améliorer leurs revenus à long terme.
« Les petits exploitants constituent la majorité des personnes pauvres dans le monde et tiennent un rôle clé dans la réalisation des objectifs de développement durable, déclare Ross Miranti, directeur du développement commercial chez One Acre Fund. Au lieu de donner des subventions, nous investissons dans les agriculteurs pour qu’ils génèrent des profits à partir de leurs récoltes. »
Parmi les agriculteurs que One Acre Fund a soutenus figure Speciose, une agricultrice de 62 ans qui vit avec sa fille et deux de ses petits-enfants dans le district de Rwamagana. Les récoltes de Speciose étaient médiocres et elle était dépendante du soutien de sa famille pour survivre. Elle s’est inscrite au programme de One Acre Fund en 2019 et a acquis les bonnes pratiques pour la plantation et l’utilisation de semences améliorées et d’engrais.
« Pour la première fois, j’ai pu récolter 1 000 kilos de maïs ce qui m’a permis de manger à ma faim et même de vendre le surplus au marché », a-t-elle déclaré. Après avoir rénové sa maison, elle a cessé de demander de l’aide à sa famille pour subvenir à son tour à ses besoins, notamment en achetant une machine à coudre pour sa fille.
« Il est important de comprendre la complexité du système agricole dans lequel se trouvent les petits exploitants — financement, intrants agricoles, chaînes de valeur, secteur privé, gouvernement. Des partenariats et des approches multisectoriels sont nécessaires pour créer des changements positifs au niveau du système, a commenté Ross à propos des défis auxquels One Acre Fund est confronté ; il se console en ajoutant qu’au Rwanda notre impact se répercute sur l’ensemble du marché national. One Acre Fund touche les agriculteurs de chaque village du pays par le biais de multiples programmes qui se chevauchent ». One Acre Fund touche plus de 700 000 petits fermiers et plus d’un million de clients supplémentaires grâce à des partenariats axés sur la distribution massive d’arbres, la production de semences, des magasins d’intrants agricoles et l’accès au marché pour les cultures commerciales.
Cette approche collective signifie que One Acre Fund peut être ambitieuse dans ses objectifs à long terme : « Notre vision pour 2030 est que notre impact soit tangible pour chaque agriculteur. Cette vision s’aligne à la vision 2050 du gouvernement rwandais, qui établit un cadre pour que le Rwanda devienne un pays à revenu intermédiaire supérieur d’ici 2035 et un pays à revenu élevé d’ici 2050. Dans cette vision l’agriculture jouera un rôle important grâce à une transformation menée à parts égales par des agriculteurs professionnels, hommes et femmes, et des chaînes de valeurs commercialisées. Nous concrétisons notre vision et contribuons à celle du Rwanda en donnant aux familles d’agriculteurs l’opportunité d’atteindre la prospérité, en établissant des partenariats avec les secteurs public et privé pour combler les lacunes des chaînes de valeurs agricoles et en renforçant les systèmes alimentaires afin que les agriculteurs et les communautés puissent réellement en bénéficier. »

© One Acre Fund / Hailey Tucker
MYAGRO : RENFORCER LA TRÉSORERIE DES PETITS AGRICULTEURS AU SÉNÉGAL
Selon le Programme alimentaire mondial, plus d’un tiers de la population du Sénégal vit sous le seuil de pauvreté, et 75 % des familles souffrent de pauvreté chronique. De plus, la majorité des petits exploitants agricoles plus pauvres n’ont pas accès au crédit, ce qui signifie qu’ils ont à peine assez d’argent pour acheter les semences et les engrais dont ils ont besoin pour cultiver et générer des revenus. Les défis mondiaux, notamment les problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement et à l’inflation, ont entraîné une augmentation sans précédent du coût des engrais qui ont bondi de 50 à 300 % au cours des 18 derniers mois.
Le modèle d’épargne numérique de myAgro — qui permet aux agriculteurs de payer par petites tranches les semences de qualité, l’engrais, leurs assurances et leur formation — et les « Village Entrepreneurs » — des agents de terrain engagés et formés par myAgro pour sensibiliser les agriculteurs à leur solution — sont des moyens éprouvés de surmonter la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Selon une enquête externe que myAgro a partagée avec nous, 98 % des agriculteurs n’ont pas d’alternative aux services proposés par l’organisation.
myAgro se préoccupe particulièrement de la résilience climatique. Les prévisions météorologiques estiment que l’Afrique de l’Ouest va devoir faire face à une augmentation des températures 1,5 fois plus rapide que partout ailleurs dans le monde. Mais comme l’observe myAgro, « Ce problème devient plus gérable si nous y faisons face petit à petit, avec des micropaiements. Il a été démontré que nos semences augmentent considérablement les récoltes par hectare et, par conséquent, que les agriculteurs ont un meilleur accès à la nourriture ainsi que des meilleurs revenus. Avec des gains plus importants, les agriculteurs deviennent plus résistants aux chocs climatiques et sont mieux armés face aux effets imprévisibles, comme des saisons agricoles plus courtes et des précipitations moins abondantes.
Si les petits agriculteurs ne sont pas à l’origine du problème du changement climatique, ils en subissent de plus en plus les effets dévastateurs. Notre défi le plus urgent pour la prochaine décennie, à l’échelle mondiale, est de les aider à rendre leurs exploitations plus résilientes — ils doivent pouvoir investir de manière fiable dans les outils dont ils ont besoin. »
Malgré les défis associés au changement climatique, myAgro est fier de l’impact que son modèle a pu démontrer : « Avec les revenus supplémentaires que les agriculteurs gagnent, en particulier les femmes, ils envoient leurs enfants à l’école, améliorent leurs maisons, investissent dans la santé de leur famille ainsi que dans d’autres activités commerciales »
L’une de ces agricultrices est Ami, une épouse et mère de huit enfants qui pratique l’agriculture depuis plus de 20 ans à Keur Amaare Bakhoum. Après avoir rencontré myAgro en 2017, ses récoltes d’hibiscus sont passées de 5 à 40 sacs. Cela signifie qu’Ami peut désormais subvenir aux besoins de sa famille et épargner pour son avenir. Elle a déclaré : « Quand on est agricultrice, il faut penser tant à l’avenir de ses enfants qu’à ce qu’ils mangent, et il est de notre devoir d’épargner pour les imprévus de la vie. »
Il est avéré que les agricultrices rencontrent généralement plus de contraintes pour accéder à la terre et, par corrélation, peinent davantage à générer des revenus. Afin d’augmenter l’adhésion des agricultrices à son modèle, myAgro s’est récemment associé à des experts du Consultative Group to Reach the Poor pour approfondir sa compréhension des besoins des femmes et concevoir des programmes, des produits et des solutions dédiés : « Nous avons par exemple développé des paquets qui comprennent des aliments plus riches sur le plan nutritionnel, car les femmes veillent à ce que leurs enfants aient accès à une alimentation saine. Nous avons également organisé des séances de recrutement et de formation à des plages horaires pensées pour les femmes afin qu’elles puissent y assister tout en conciliant leurs autres responsabilités domestiques. »
Si myAgro a touché 115 000 agriculteurs en 2021, l’organisation espère en aider plus d’un million d’ici 2026 — la majorité étant des femmes. L’organisation précise : « La majeure partie de notre croissance se réalisera au Sénégal. Nous cherchons à rejoindre plus du monde dans les zones où nous sommes déjà actifs pour nous étendre ensuite à de nouveaux territoires et régions à travers tout le pays. »