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Comment le soutien des hommes fait avancer l’égalité des genres

L’engagement des hommes dans les programmes d’émancipation des femmes pourrait-il en augmenter les bénéfices ?

© Hand in Hand / Georgina Goodwin

L’engagement des hommes dans les programmes d’émancipation des femmes pourrait-il en augmenter les bénéfices ? Après tout, si les hommes et les femmes s’associent, et évoluent ensemble, il est alors fort probable que les changements se réalisent plus naturellement, plus rapidement, plus largement et de manière plus durable. De plus, une fois que les avantages d’une femme qui a pris le contrôle de sa planification familiale, de sa vie professionnelle, de ses économies et de ses investissements sont perceptibles, le couple, tant la femme que l’homme, devient le meilleur ambassadeur de cette nouvelle qualité de vie.

Depuis 2019, nous soutenons Hand in Hand International en Tanzanie et Women for Women International au Rwanda afin de mettre cette théorie à l’épreuve. Pendant cinq ans, aux côtés des communautés, ces deux organisations vont mener un essai. Ce test est dirigé par l’International Center for Research on Women (ICRW), et analyse si et comment l’implication des hommes dans des programmes existants d’émancipation des femmes peut participer à remédier aux inégalités entre les genres et ainsi modifier les perceptions, les attitudes et les comportements des femmes ainsi que des hommes.

Les progrès seront suivis sur toute la durée du programme, cinq ans, mais les résultats préliminaires sont déjà prometteurs : plus de femmes ont un emploi rémunéré, plus de terrains sont enregistrés au nom des deux conjoints, la communication est meilleure dans le couple, l’égalité des genres est mieux perçue et la violence conjugale moins acceptée.

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© Women for Women International/Hazel Thomson

VISER LES COEURS, CHANGER LES MENTALITÉS

La culture massaï, transmise de génération en génération depuis des milliers d’années, est connue de tous. Ce que l’on connaît moins, c’est le fossé qui divise les genres et impose traditionnellement aux femmes d’assumer la garde des enfants et les tâches domestiques alors que les hommes sont les chefs de famille, subviennent aux besoins, supervisent les finances et peuvent parfois être violents envers leurs épouses.

En Tanzanie, l’étude compare deux groupes dans des communautés massaï. Dans le groupe témoin de Nduruma, une petite ville du nord-est de la Tanzanie, seules les femmes reçoivent une formation sur l’égalité des genres et des compétences commerciales, alors que dans la ville voisine de Mlangarini, les femmes et les hommes sont pareillement impliqués et formés.

« À la fin de l’étude préliminaire, nous avons constaté que les hommes acceptaient plus facilement que les femmes aient un emploi en dehors du domicile, qu’ils réalisaient plus volontiers des tâches domestiques, que la prise de décision dans le couple était plus équitable et que la sensibilisation aux violences sexistes était mieux perçue, en particulier dans le groupe de Mlangarini où les hommes et les femmes avaient tous deux reçu la formation », explique Isabel Creixell, responsable du développement du programme chez Hand in Hand International.

De plus, les changements ne se sont pas réduits aux simples perceptions, mais témoignent d’évolutions concrètes du comportement.

« Alors que je formais une trentaine de femmes, j’ai trouvé réconfortant de voir un homme garder un troupeau de chèvres, dit-elle. Les hommes ne gardent pas les chèvres, car c’est généralement une tâche qui incombe aux femmes, mais il avait accepté de le faire pendant que sa femme assistait au cours. Une autre participante m’a dit que lorsqu’elle était malade, son mari acceptait d’aller chercher de l’eau pour elle. Certains couples ont également abordé des questions financières et ont fait des projets ensemble, alors qu’auparavant, les femmes et les hommes ne divulguaient pas leurs revenus à leur conjoint. Nous constatons une amélioration des gains et de l’épargne dans les familles qui participent à l’essai. »

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© Hand in Hand / Georgina Goodwin

LA NÉCESSITÉ D’OBTENIR L’ADHÉSION DE LA COMMUNAUTÉ

Les perceptions et les pratiques culturelles ne peuvent pas être modifiées de l’extérieur. Il est essentiel que ce soit la communauté locale qui provoque le changement - en découvrant elle-même les bénéfices et en les souhaitant à leur tour. Tous les formateurs sont des locaux: les hommes encadrent les hommes et ce sont des formatrices qui s’adressent aux femmes. Il est important de leur fournir des espaces distincts où ils peuvent s’exprimer, réfléchir à leurs rôles et leurs comportements librement.

L’un des principaux moteurs du changement a également consisté à impliquer les chefs de village et les gardiens de la culture dans la transmission des messages à la communauté.

« Nos équipes se sont entretenues au préalable avec les chefs de village et leur ont demandé quels sujets ils souhaitaient aborder, explique Isabel. Nous devions explorer les problèmes de leur point de vue pour déterminer comment les résoudre. »

Au début, les hommes étaient réticents à discuter et à potentiellement modifier leurs comportements. Certains ont même fait preuve d’agressivité envers les formateurs. Mais leur attitude a changé lorsqu’ils ont pu constater les avantages qui en découleraient tant pour eux que pour leur famille.

Allie McGonagle Glinski, directrice associée de l’International Center for Research on Women qui a mené l’étude ayant conduit à l’essai sur le terrain, explique : « Certains programmes ont mieux réussi à impliquer les hommes en se concentrant sur leur paternité et leur rôle d’éducateur. Les hommes peuvent immédiatement percevoir la plus-value, tant pour eux que pour leurs enfants, d’être plus présent, alors que traditionnellement assurer le rôle de père est considéré comme une faiblesse. »

« Il ne faut pas oublier que les hommes souffrent aussi de la pression qu’ils subissent pour entrer dans le moule et coller à l’étiquette d’être un “homme bon”, le pilier de la famille, celui qui sait tout et prend les décisions pour le ménage », ajoute Allie.

Déconstruire les préconceptions de la masculinité fait résolument partie du défi : les notions de contrôle, de droit et la représentation des « vrais hommes » qui sont imposées aux hommes et aux garçons depuis le plus jeune âge

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© Women for Women International / Alison Wright

A CHACUN SON APPROCHE

Appliquer une seule approche partout ne peut fonctionner non plus. « Vous pouvez trouver des différences significatives entre un village et son voisin », explique Isabel.

C’est pourquoi la formation dispensée dans le cadre du programme « Men Engage », géré par Women for Women au Rwanda, a été adaptée à l’ensemble du pays. Bien qu’elle ne soit qu’à mi-parcours, l’initiative a déjà connu des changements très positifs.

Mellisa Mazingi, directrice de Women for Women International pour la région des Grands Lacs, déclare : « La plupart des hommes qui ont suivi la formation pour redéfinir positivement la masculinité sont devenus des acteurs du changement ; ils aident leur communauté à comprendre l’importance de la valorisation des femmes et à devenir socialement et économiquement inclusive. »

Le changement prend toutefois du temps et n’est pas toujours accueilli favorablement. Au départ, l’émancipation économique des femmes peut même déclencher un regain de violence chez leur conjoint qui peut se sentir menacé par cette nouvelle indépendance.

« L’une de nos participantes avait été élue agente de santé et représentante des femmes, raconte Mellisa. Un jour, après avoir assisté à une réunion, elle a acheté des rideaux avec son propre argent. Son mari a brûlé tous les rideaux et l’a empêchée de participer à d’autres réunions. »

Heureusement, les exemples positifs sont plus nombreux.

Dans un cas, un mari s’opposait à ce que sa femme devienne médiatrice communautaire. Il désapprouvait le vélo qu’on lui avait fourni pour l’aider dans son travail et l’empêchait même parfois de se rendre aux réunions. Pendant la formation, il a commencé à voir les choses très différemment : « Lorsque nous avons eu une séance sur la masculinité, la place de l’homme, la dynamique du pouvoir et le rôle des femmes dans la gestion et la prise de décision, j’ai réalisé à quel point je blessais ma femme. Depuis, je suis plus calme et je comprends que je dois l’aider à remplir ses fonctions. » Désormais, il l’aide même en la déposant aux réunions avec son vélo.

Un couple séparé et au mariage brisé, en grande partie à cause des problèmes d’alcool et de violence du mari, a renoué sa relation. Il déclare : « Aujourd’hui, je soutiens ma femme. Je sais que nous avons les mêmes droits et que nous devons nous épauler l’un l’autre. J’ai réduit ma consommation d’alcool. Maintenant, nous échangeons sur tous les projets et je suis un père impliqué ». Ils ont rénové leur maison et acheté une vache ; ils louent deux terrains à usage agricole ; ils ont acquis un réservoir d’eau ainsi que de la literie pour leur maison ; ils ont adopté la planification familiale.

« Il y a une plus grande sensibilisation à l’équité entre les genres en général. Nous travaillons dans des communautés qui ne connaissaient pas cette thématique ou qui n’avaient jamais abordé la question de savoir si l’homme devait aider davantage à la maison, inclure son épouse dans la prise de décision ou gérer conjointement les finances, explique Isabel. Ce sont des petits pas pour l’instant, mais ils se traduiront par d’importants résultats dans le futur. »

PARTAGER CE QUE NOUS APPRENONS

L’essai sur le terrain, d’une durée de cinq ans, a pour objectif d’établir une base de données probantes sur le travail effectué auprès des hommes et des garçons pour promouvoir l’égalité des genres. Les enseignements tirés seront compilés dans un guide des bonnes pratiques en matière de soutien masculin, élaboré par le ICRW et partagé à l’ensemble du secteur.

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© Women for Women International / Alison Wright

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© Hand In Hand International

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© Women for Women International / Hazel Thomson

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© Women for Women International / Hazel Thomson

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© Women for Women International / Alison Wright

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© Hand In Hand International

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© Women for Women International / Hazel Thomson

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© Women for Women International / Hazel Thomson