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Molly Melching et l’égalité des genres

À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme 2020, nous avons demandé à Molly Melching, fondatrice de Tostan, de partager sa vision de l’égalité des genres et de l’émancipation de la femme. Retrouvez-la dans cet entretien.

© Cartier Philanthropy / Cyril le Tourneur

À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme 2020, nous avons demandé à Molly Melching, fondatrice de Tostan , de partager sa vision de l’égalité des genres et de l’émancipation de la femme. 

Cette interview suit celle de Safeena Husain , fondatrice de Educate Girls, et sera suivie par celle de Debbie Aung , fondatrice de Proximity Designs, dont les témoignages sont publiés sur ce site chaque lundi du mois de Mars. 

« Égalité des genres » ou « Équité des genres » que choisissez-vous ?  
Tout dépend du contexte. Pour moi, il faut se poser une autre question, essentielle et liée à la première : qui choisit d’utiliser une expression plutôt que l’autre ? 

Celles et ceux qui sont aux prises avec des questions d’« égalité des genres » ou d’« équité des genres » en Europe ou aux États-Unis, par exemple, doivent avant tout se rappeler que les dialogues et les débats dans lesquels ils sont engagés se jouent depuis des années (souvent des décennies) au sein de leur propre culture, mais aussi sur le plan national. Leurs échanges découlent de la possibilité qu’ils ont eue de faire des études, d’une culture qui valorise l’individualité, de vagues de mouvements successives, de l’action de leaders courageux, et d’un engagement public en faveur de l’évolution de normes sociétales solidement établies. 

Ces dialogues et ces débats sont pratiquement inexistants dans les endroits où Tostan propose son programme de formation non formelle dans différentes langues nationales. Dans ces pays, la majorité de la population n’a jamais été scolarisée dans un établissement officiel. L’accès aux soins de santé, aux moyens de subsistance et aux services est réduit au minimum. Des normes sociales séculaires prévalent et leur non-respect est suivi de sanctions tout aussi ancestrales. La curiosité est condamnée et ceux qui posent des questions s’exposent à un destin terrible : ils risquent de se retrouver marginalisés ou ostracisés, coupés de leur famille et de leurs proches. 

Le choix des mots est crucial dans de tels contextes. C’est pour cette raison que Tostan évite d’employer des termes litigieux, susceptibles d’empêcher l’instauration d’un dialogue pourtant nécessaire lorsqu’on présente de nouvelles idées sur des sujets tabous, notamment quand on aborde explicitement l’« égalité des genres » ou l’« équité des genres ». 

Après avoir entendu les avis de centaines de participants issus de diverses communautés, Tostan a décidé d’opter pour une expression qui, d’après eux, pouvait encourager les échanges entre les hommes, les femmes et les dirigeants traditionnels et religieux, ainsi que les jeunes et les enfants : « Tous les humains ont les mêmes droits. » Cette tournure fonctionne bien parce qu’elle pousse les personnes qui prennent part à nos formations à commencer par se mettre d’accord, à travers un dialogue encadré, sur ce que signifie être « humain », un terme dénué de connotation de genre. En avançant dans l’étude du sujet, ils découvrent avec surprise que les principes des droits humains correspondent finalement à leurs propres valeurs et croyances religieuses. Lorsqu’ils discutent et partagent ces nouvelles idées avec leur communauté et leurs relations, ils renforcent les liens et l’idée que les principes des droits humains doivent être embrassés et respectés par toutes et tous : femmes, hommes et enfants. 

Ainsi, nous encourageons implicitement les participantes et les participants à envisager et à s’engager, à leur manière et avec leurs propres mots, dans un changement de comportement, ce qui renforce l’égalité et l’équité des genres. 

Quel est le plus grand progrès réalisé par les femmes ces dernières années ? 
Grâce à une éducation visant le développement social et économique, dispensée dans leur langue maternelle, j’ai vu des filles et des femmes porter une voix dans leur village, voix qui leur a permis de s’exprimer pour la première fois et de convaincre d’autres femmes et hommes de se débarrasser de nombreux stéréotypes et normes sociales de genre. 

La confiance qu’elles se sont découverte en partageant leurs idées non seulement comme elles le faisaient auparavant en privé avec leur mari (les « conseils sur l’oreiller », comme les appellent les Wolofs), mais aussi sur la scène publique, a mené des milliers de femmes d’origine rurale à se présenter à des élections dans leur communauté, leur district, et même au niveau national. Nous avons aussi vu des femmes travailler et se déplacer pour la première fois hors de leur foyer et de leur village. C’est fantastique de constater que les femmes suivent désormais de nombreux exemples dans différents secteurs, des modèles qui inspirent les femmes et les filles des générations futures, qui leur ouvrent de nouveaux horizons. 

Dans presque tous les secteurs du développement, on reconnaît aujourd’hui l’effet catalytique des formations axées sur les droits humains dispensées dans les langues nationales. Elles permettent de réaliser des progrès inédits, en particulier pour les millions de femmes et de filles qui n’ont jamais été scolarisées. 

Quel est le mur le plus haut qu’elles doivent encore franchir ? 
Je pense qu’il existe une barrière, mais que nous ne devrions pas exiger des femmes qu’elles la franchissent. Nous pouvons nous unir pour l’abattre. Cette barrière, c’est le manque de compréhension. Elle est fondée sur l’absence de lien et de confiance. C’est une barrière qui, paradoxalement, se dresse souvent entre ceux qui cherchent à investir dans un monde meilleur et les communautés qui ont le plus besoin de leur soutien. 

Pour s’en débarrasser, il faut investir directement dans la valeur et le potentiel des femmes et des filles. Nous avons passé des dizaines d’années à lancer des « actions en faveur du développement » en contournant cette barrière. À mes yeux, nous avons progressé avec un manque flagrant d’efficacité, sans impliquer totalement les communautés, et particulièrement les femmes, les filles et d’autres groupes marginalisés. Ce manque d’efficacité concerne non seulement les bénéficiaires principaux des actions, mais aussi les responsables et les moteurs de l’ensemble du processus de développement. 

De plus en plus de personnes s’engagent en faveur des Objectifs de développement durable ; j’espère donc que nous verrons bientôt la fin des investissements verticaux attachés à des problèmes ponctuels et à des solutions externes. J’ai plutôt une vision horizontale de la collaboration avec des partenaires. Elle consiste à investir avec confiance et amour dans les femmes qui reçoivent, dans leur propre langue, une éducation générale centrée sur le développement de leur autonomie sociale et économique. Je suis convaincue que ces femmes seront capables non seulement de répondre adéquatement aux défis qu’elles rencontrent habituellement, mais aussi de relever ceux qui les attendent. 

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© Tostan

L’« émancipation » des femmes est devenue une expression à la mode. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour vous ? 
En 1996, après avoir mis en œuvre sur six années un programme d’éducation non formelle générale dans des centaines de communautés sénégalaises, Tostan y a intégré un module consacré de formation aux droits humains. Cette période a été un moment charnière pour nous et il m’a permis de saisir le sens véritable de l’« émancipation des femmes ». Depuis, j’ai vu des milliers de femmes originaires de zones rurales, issues de huit pays africains trouver le courage de renoncer à des pratiques dangereuses, de manifester pacifiquement pour mettre fin aux violences domestiques, de se présenter à des élections au sein de leur communauté de leur district, et même au niveau national en se positionnant en faveur des droits humains, et de s’exprimer publiquement et avec confiance pour défendre leurs droits pour la première fois. Ces actions m’ont inspirée et ont renforcé ma propre autonomie. Elles m’ont redonné du courage et la force de persévérer. 

Les modèles positifs peuvent aider à briser les perceptions biaisées et les préjugés envers les filles et les femmes. Vous êtes certainement un de ces modèles. Est-ce que vous-même en avez un ? 

Ma mère et ma sœur aînée, Diane Gillespie, ont été mes modèles. Elles se sont toutes les deux dévouées corps et âme à l’enseignement à une époque où de nombreuses femmes américaines ne cherchaient pas à poursuivre leurs études ou à s’engager dans une carrière tout en élevant leurs enfants. Ma sœur a pris sa retraite anticipée pour soutenir Tostan et travaille depuis comme mentor bénévole pour bon nombre de nos collaborateurs. 

En matière d’évolution sociale, j’ai pris exemple sur une Kényane incroyable, Wangari Maathai, dont l’approche audacieuse et globale associait justice de genre et justice environnementale. 

Quelle est la leçon la plus importante que vous avez tirée de votre engagement en faveur de l’égalité des genres ? 
Chez Tostan, nous avons appris à nos dépens que les hommes doivent être inclus dans différents aspects des formations axées sur le développement social et économique. Quand nous avons ajouté un module de trois mois consacré aux droits humains dans notre programme, nous nous sommes d’abord concentrés exclusivement sur les droits des femmes. Cette façon d’aborder les choses était vraiment importante pour les participantes et elle a eu des résultats que nous n’aurions jamais osé imaginer. Au cours des six années précédentes, nous nous étions uniquement focalisés sur des thématiques comme l’hygiène, la santé, l’alphabétisation et la gestion de projets. Mais dès que nous avons commencé à parler de « droits des femmes », les hommes sont devenus méfiants et ont même tenté de faire fermer des centres. Nous avons alors compris qu’en nous centrant exclusivement sur les femmes et les filles, nous négligions le contexte social dans lequel nos participantes évoluaient et nous provoquions régulièrement une résistance chez les hommes. En 2000, nous avons reconnu notre erreur et nous avons repensé nos modules pour inclure toutes les personnes qui avaient besoin de connaître et de parvenir à un consensus sur les droits humains de tous les membres de la société : femmes, hommes et enfants. 

Chemin faisant, nous avons aussi découvert que les femmes peuvent guider bien plus rapidement leurs communautés vers le changement lorsqu’elles évitent de « pointer du doigt ou de mettre en cause » les pratiques en vigueur et quand elles s’abstiennent de se dresser directement contre elles, car ces attitudes peuvent éveiller la méfiance et déclencher des conflits inutiles. Lorsqu’on instaure un cadre positif, orienté sur l’avenir, et qu’on développe un partenariat visant à « promouvoir le bien-être communautaire », chacun se focalise sur les meilleures manières d’interagir pour atteindre de nouveaux objectifs définis de manière collective tout en respectant des valeurs africaines importantes telles que la paix, le respect, la famille, l’unité, la coopération et l’interdépendance. 

Quel est le livre que tout le monde doit lire pour s’impliquer et soutenir les femmes dans leurs efforts ? 
Je pense que Prendre son envol, de Melinda Gates, touche les hommes et les femmes d’une manière qui révèle dans quelle mesure le genre joue un rôle dans le bien-être et la construction d’un avenir plus radieux dans lequel les talents et les compétences peuvent pleinement s’exprimer. Gates s’approprie le terme féministe d’une façon qui illustre l’importance de s’engager pour la croissance et le développement de tous. Elle défend de manière convaincante l’importance cruciale de l’autonomie sociale et économique dans le développement. Et même si elle reconnaît que ça n’a pas été facile, elle partage ses sentiments et sa vulnérabilité, ce qui me semble important pour les femmes partout dans le monde. 

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