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Ce n’est pas un cours comme les autres !

L’intelligence émotionnelle est une compétence cruciale pour les élèves comme pour les enseignants rwandais. Explications.

© Cartier Philanthropy/ Cyril Le Tourneur

Des données récentes mises en exergue par le Center for Global Development indiquent que près d’un tiers des enfants vivant dans des pays aux revenus faibles à moyens seraient régulièrement confrontés à des graves violences et choquantes dans les écoles. Les garçons et les filles sont non seulement victimes de harcèlement et d’agression de la part d’autres élèves, mais ils sont également brutalisés par des enseignants - et alors même qu’ils ont été interdits, les châtiments corporels restent courants. De plus, les (rares) données disponibles dénonçant les violences sexuelles commises à l’encontre des élèves dévoilent des chiffres alarmants, mais l’on sait pourtant le problème plus prévalent. En effet, ces comportements sont inscrits dans les normes culturelles. Les enfants, en particulier les filles, ne savent pas qu’ils doivent être protégés contre les violences sexuelles et ne les signalent donc pas.

Heureusement, de nombreuses institutions et organisations œuvrent afin de transformer les environnements d’apprentissage tels que les écoles en un terrain fertile pour une éducation sociale et émotionnelle efficace.

Ingabire Medius est le principal du Groupe Scolaire Rusiga, dans le district de Rulindo, au Rwanda. Cet établissement est l’une des 55 écoles du pays où The WellSpring Foundation for Education dispense le programme de formation à la résilience et à la santé des adolescents Youth First Rwanda. Conçu par notre partenaire CorStone en collaboration avec le Rwanda Basic Education Board et fondé sur des données probantes, ce programme vise à améliorer le bien-être mental et physique des élèves du premier cycle d’enseignement secondaire (de 12 à 15 ans). Le programme se compose de 25 cours qui abordent de nombreux sujets tels que la gestion des conflits et des tensions, l’écoute active, la définition d’objectifs et la résolution de problèmes en s’appuyant sur une communication efficace, l’opposition à la violence et la pratique du pardon et des excuses.

« Youth First Rwanda crée un filet de sécurité pour les élèves, qui sentent alors qu’ils peuvent compter les uns sur les autres, et instaure un environnement de confiance au sein de l’école, a commenté Madame Medius quand nous l’avons rencontrée en février, avant d’ajouter, Les élèves du programme, savent qu’ils peuvent demander conseil à leurs professeurs et parler ouvertement de leurs problèmes. Parfois, ils réalisent qu’une certaine situation n’est pas acceptable, contrairement à ce qu’ils pensaient, et cherchent alors de l’aide. »

Jean Pierre, directeur adjoint du Groupe Scolaire Gikombe à Rubavu, a confirmé l’importance et la pertinence du programme. « De nombreux enseignants doivent être encadrés afin de discipliner leurs élèves sans avoir recours à des pratiques abusives qui suscitent de la peur et de la méfiance dans la classe. Youth First Rwanda a radicalement changé la donne. Les élèves se sentent désormais en sécurité… et quand ils se sentent en sécurité, ils apprennent mieux ».

Il a été démontré que le programme améliore le bien-être des élèves dans de nombreux domaines, notamment l’engagement social, le bien-être émotionnel et les résultats scolaires.

L’histoire d’Egide atteste des possibilités que ce programme peut ouvrir. « Je n’ai jamais vraiment pensé que je pouvais avoir un but dans la vie ou un plan, quelque chose à atteindre, nous a-t-il confié quand nous l’avons rencontré dans sa salle de classe à Gikobe. Je me suis toujours contenté de survivre au quotidien. Je me battais beaucoup avec mon entourage. À l’école, lorsque les enseignants s’adressaient à moi, je me sentais immédiatement agressé et je quittais la classe. Aujourd’hui, je sais ce que cela signifie de se fixer un objectif. Et ce qu’il faut faire pour l’atteindre. Si je veux devenir médecin - mon objectif - je sais que je dois être un bon élève et étudier pendant de nombreuses années. J’ai conscience que je construis aujourd’hui ce que je deviendrai demain ».

Egide a été abandonné par sa mère alors qu’il était encore tout petit et a vécu dans un orphelinat. Il a abandonné l’école à l’âge de 10 ans et a rapidement rejoint un gang de rue. Il a commencé à se droguer et a fait de la prison. Il est ensuite retourné à l’orphelinat et a été réinscrit à l’école. C’est là qu’il a rencontré Youth First Rwanda, qui a littéralement transformé sa façon de se voir et celle de voir le monde qui l’entoure. Aujourd’hui, il est surveillant de classe et utilise l’histoire de sa vie pour encourager les autres à viser plus haut.

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© Cartier Philanthropy/ Cyril Le Tourneur

De nombreux camarades de classe d’Egide font état d’une plus grande confiance en eux. Voici comment l’explique Chantal : « J’étais furieuse quand on nous a demandé de participer au programme. Franchement, je ne voulais pas venir à l’école une heure plus tôt pour un énième cours. Pourquoi le faire ? Je ne comprenais pas. Mais après quelques cours, j’ai commencé à vraiment apprécier ces moments où j’apprends à me découvrir et où j’échange avec mes camarades de classe. Je me suis rendue compte que Youth First n’est pas un cours comme les autres. J’ai particulièrement aimé les séances sur la manière d’identifier et de gérer nos émotions. Aujourd’hui, je me sens moins isolée et j’ai plus confiance en moi. Ce n’est pas seulement ma confiance en moi qui a grandi, mais aussi mon regard sur les misères du monde, en particulier celles qui touchent les filles. Je veux changer cela. Mon objectif est de devenir procureure. En attendant, je ressens vraiment le besoin de partager ce que j’ai appris avec d’autres membres de ma communauté. J’organise déjà des séances avec des enfants plus jeunes de mon village pour qu’ils puissent eux aussi bénéficier de ce que j’apprends. »

Les écoles sont le lieu idéal pour l’apprentissage de l’intelligence émotionnelle et sociale. Un récent rapport de l’OCDE les décrit comme « un microcosme de la société, où les élèves sont confrontés à différentes façons de penser, de vivre et de communiquer ». Elles offrent « des opportunités de connaître le succès, d’établir des relations de confiance, voire des amitiés, et d’apprendre que le succès d’une personne dépend souvent de celui des autres. À l’école, les élèves gèrent chaque jour des situations sociales complexes, mais aussi la pression, la frustration et même l’échec et le rejet ».

Cependant, le résultat de ces expériences dépend aussi des enseignants. Pour que les élèves se sentent suffisamment en sécurité pour parler, il faut des adultes prêts à les écouter. Le programme Youth First Rwanda est mis en œuvre selon un modèle de groupe de pairs animé par un enseignant ; ils sont 550 à avoir été formés en tant qu’animateurs de cours. Et se sont tous fait l’écho des commentaires enthousiastes des élèves et ont noté que le programme favorisait un plus grand sens de la communauté et d’appartenance à la collectivité.

Christine, enseignante et animatrice Youth First à l’école d’Egide, explique : « Mon rôle d’animatrice a vraiment transformé la façon dont j’interagis avec mes élèves en classe. Je sais maintenant comment les aider à gérer leurs désaccords ou comment les aider à contrôler leur anxiété. Ils sont plus concentrés, plus engagés et, dans l’ensemble, leurs résultats scolaires s’améliorent. Mais ce n’est pas tout. J’utilise la même approche à la maison avec mes enfants. Et ça marche ! »

Olivier, enseignant et animateur Youth First à l’Ecole Secondaire Gasiza dans le district de Rulindo, parle même d’un effet d’entraînement : « Youth First Rwanda ne change pas seulement le comportement des élèves, mais transforme aussi profondément l’attitude des enseignants. Les élèves et les enseignants ramènent ensuite cette attitude à la maison, ce qui a un impact sur leur famille et leur quartier. »

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© Cartier Philanthropy/ Cyril Le Tourneur

Les liens affectifs que les cours établissent créent un espace qui permet aux élèves et aux enseignants d’explorer le contenu que les écoles devraient enseigner.

En 2022-2023, CorStone a lancé une évaluation à méthode mixte sur 100 écoles ayant adopté le programme Youth First Rwanda auprès de 7 000 jeunes. CorStone espère utiliser les preuves et les enseignements tirés de cette étude pour l’étendre à au moins 30 000 élèves par an dans les 30 districts du Rwanda d’ici la fin de l’année 2025.

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